Coursier-livreur : être free-lance ou salarié ?
0 commentaire Marie MEHAULT
26 juin 2017Il s’appelle Sami, il a 28 ans, il est coursier à vélo. Nous le suivons dans son périple : il nous prévient, il ne parle pas quand il est sur sa bécane, il doit faire preuve d’une concentration maximale. Car le danger est partout. « Il y a le piéton qui peut arriver de n’importe où, y compris entre deux voitures qui roulent, la voiture qui sort de l’emplacement où elle est garée et qui va déboîter sans regarder dans les rétroviseurs, les scooters qui trouvent que tu ne roules pas assez vite et qui te dépassent par la droite, les chauffeurs de bus qui roulent des mécaniques… ça peut être tout et n’importe quoi. Ce qui est sûr, c’est que la moindre seconde d’inattention peut te coûter cher ».
Depuis 7 ans, bientôt 8, Sami enfourche son vélo 4 jours par semaine pour une journée de travail. Son métier : coursier. Sa mission : livrer des plis à paris et en proche banlieue. « La base de ce travail si tu veux avoir du boulot, c’est de respecter les délais. Du coup, on zigzague, on se faufile, c’est vrai qu’on prend des risques. Mais si on va vite et qu’on travaille bien, on gagne bien : de plus en plus de clients font appel à des coursiers comme nous. Entre 5 et 12 euros la livraison, ce sont les mêmes tarifs qu’à scooter, sauf que sur les petites distances les vélos sont plus rapides : on est donc plus rentable pour le commanditaire, qui peut aussi se targuer de faire effectuer ses livraisons de manière écologique, et aujourd’hui, en terme d’image, ça compte de plus en plus ».
Aujourd’hui, ils sont près de 200 livreurs à Paris, à vivre de ce travail de coursier à vélo. Mais Marseille, Lyon, Toulouse ou Lille comptent aussi leur lot de coursiers à vélo. « Pédaler c’est fatiguant mais c’est aussi un plaisir », raconte Sami. Il a une heure pour récupérer deux plis à Neuilly, en livrer trois à Paris : au total, 11 kilomètres qu’il va parcourir en 57 minutes… il reste deux minutes pour livrer, c’est gagné. « Ce qui est bien c’est que nos patrons sont eux-mêmes d’anciens coursiers. Ils savent ce qu’on vit. Aujourd’hui ils prennent les commandes des clients au téléphone et gèrent le centre d’appel. La plupart du temps ils nous confient des missions qui ne sont pas impossibles ! Mais je parcours entre 100 et 120 kilomètres par jour, le corps et les nerfs sont mis à rude épreuve, mais on s’habitue. Les premières semaines et même la première année c’est vraiment très dur, quand on rentre chez soi le soir on va directement au lit ! ». Ils étaient 4 livreurs salariés dans l’entreprise de messagerie express qui emploie Sami, aujourd’hui ils sont 17.
Thierry, lui, livre des repas chauds. Et il est travailleur indépendant. En clair, il est son propre patron. Il travaille 5 heures par jour et 5 jours par semaine. « C’est une sorte d’uber de la livraison, on a une application sur les smartphones et les tablettes, on propose ses services, et plus on va vite plus on a de courses. Ce qui fait qu’effectivement, c’est tentant de griller les feux rouges et les priorités… Le métier de livreur est dangereux par contrainte. On a 25 minutes chrono pour livrer chaud dans Paris. C’est physique : il y a souvent des escaliers à monter… en moyenne je fais 100 euros par jour, ça me fait 2000 euros par mois, comme auto entrepreneur. Ce qui veut dire que je paye des charges à l’Urssaf, mais en échange je ne fais pas payer de TVA, donc je pratique des tarifs compétitifs et ça me rapporte du boulot. Pour les start up qui m’envoient en mission, c’est pratique, elles ne payent aucune charge. Mais ça veut dire que moi je n’ai droit à aucun congé, pas droit au chômage ni aux arrêts maladie. C’est un choix, je sais que de plus en plus de livreurs comme moi commencent à râler et à faire des actions aux prudhommes. Moi je vois ça comme une liberté : je travaille à la carte, en fonction de mes envies : j’ai envie de travailler, je travaille, je n’ai pas envie de travailler, je ne travaille pas. Et avec 40 heures par semaine, je gagne 2500 euros par mois. C’est un job qui me convient parfaitement ».
Dans les entreprises classiques, ces livreurs indépendants sont considérés comme des concurrents sauvages : « nous on a 15 emplois, que des CDI payés 32 heures par semaine pour 1500 euros mensuels. Chez moi ce n’est pas un ordinateur qui va décider quel livreur à telle ou telle mission, on voit ça en fonction de la demande, des qualités de chacun, de ses contraintes, de ses itinéraires », explique le patron d’une société de livraison express dans Paris. « Les livreurs auto entrepreneurs sont les dindons de la farce : ils cassent le marché, y compris pour eux-mêmes, et se font avoir par des entreprises sans scrupules qui veulent juste payer moins de cotisations, sans être soumises au droit du travail. Et sur la route ça fait une différence : mes coursiers n’ont pas besoin de rouler n’importe comment sur la route, ils ont deux heures et demie pour livrer donc ils ont le temps d’être prudents ».
Livrer à temps, respecter les délais, travailler de jour ou de nuit, c’est donc le quotidien des coursiers. A vélo, mais aussi à scooter ou en camionnette, ils ne livrent pas seulement du courrier ou des repas chauds, ils livrent… de tout. « On livre aussi des contrats confidentiels, ou des colis fragiles », raconte Sergio, coursier à moto dans cette entreprise. « On a tous un point commun, c’est la course contre la montre. Quel que soit notre mode de transport, c’est un métier dangereux de toute façon. Aller vite, c’est l’exigence des clients. En revanche, ce que j’aime dans le salariat, c’est que tout est informatisé je n’ai rien à noter, pas de factures à faire, pas de paperasse, ce n’est pas moi qui gère l’administratif. Je quitte ma famille à 8 heures le matin, je sais qu’à 16H30 j’ai fini. Je gagne 1700 euros net par mois, mais au moins c’est un fixe. Que j’ai des missions ou pas je touche le même salaire tous les mois, je peux payer mon loyer quoi qu’il arrive. C’est moins de stress, je ne suis pas payé à la course et c’est très libérateur psychologiquement, j’ai beaucoup moins de pression, je ne cours pas après le maximum de courses et je respecte la sécurité routière et ma propre sécurité. Je ne risque pas de perdre mon permis de conduire. Ce qui ne veut pas dire que je ne fais rien : j’effectue une vingtaine de courses par jour ».
Bernard, enfin, est spécialisé dans la livraison de colis volumineux. Du coup, il travaille avec une camionnette. Lui, ne peut pas slalomer entre les voitures. Au volant de sa camionnette, il n’a pas d’autre choix que de patienter dans les embouteillages : « les bouchons, c’est le plus fatiguant, psychologiquement et physiquement. Heureusement pour les colis volumineux, les clients sont moins exigeants sur la ponctualité, ils connaissent nos contraintes. Avec les heures supplémentaires, je touche environ 2500 euros par mois. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que celui qui a la volonté et le courage de devenir coursier, il trouvera du travail. C’est un métier en plein développement avec un avantage énorme : il ne requiert aucun diplôme ».