« Nous ne sommes pas des travailleurs au rabais » : les routiers se mobilisent

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Ils ne veulent pas être des salariés low cost, les travailleurs à prix cassés de l’Union Européenne : ce mardi 21 novembre 2017, les routiers français sont à nouveau sur le pied de guerre, bien décidés à se faire entendre à la fois de paris et de Bruxelles. Des transporteurs, qui n’en sont pas à une journée d’action près, alors qu’ils ont le sentiment d’avoir été clairement exclus des dernières négociations entre les 28 sur la question du travail détaché et du dumping social. Opérations coup de poing, blocage des péages ou de camions italiens à hauteur du tunnel de Fréjus, défilé à coup de klaxons à la frontière entre la France et la Belgique : tous les syndicats à l’unanimité ont appelé à la mobilisation, sur l’ensemble du territoire. Ils dénoncent les inégalités entre transporteurs français et étrangers, et surtout, contre l’exclusion du transport routier de la nouvelle directive européenne sur le travail détaché : « on s’aperçoit que la branche d’activité transport qui utilise quasiment le plus le travail détaché, elle est extraite de ce décret, donc ça nous désole, on ne trouve pas ça normal, nous voulons que tous les salariés en France et en Europe soit au même statut social et économique », explique le syndicat Force Ouvrière Transport et Logistique.

 

Patrick Blaise, de la CFDT Transport et Environnement, s’est fait pour l’occasion porte-parole de la profession dans les médias : « pourquoi les chauffeurs routiers français seraient-ils mis hors du coup des négociations européennes sur la question des travailleurs détachés et du dumping social, alors que c’est le secteur d’activité le plus impacté ? Cela revient à dire que les conducteurs du transport de marchandises par la route ne méritent pas mieux que d’être considérés comme des salariés dégriffés, des travailleurs à prix cassé, les seuls de l’Union européenne. Alors qu’ils vivent déjà difficilement la situation actuelle, avec des routiers portugais, polonais, hongrois, roumains, bulgares etc…. qui viennent faire du cabotage en France sans être le moins du monde contrôlés. Ils sont payés une misère, donc favorisent le dumping social et le nivellement par le bas des conditions de travail des routiers français, donc ils tirent globalement le secteur vers le bas et mettent nos professions en péril. C’est exactement l’inverse qui devrait se produire, c’est-à-dire qu’on devrait les rémunérer comme les chauffeurs français et tirer tout le secteur vers le haut. Alors qu’aujourd’hui, en excluant les routiers français du dernier accord européen sur les travailleurs détachés, on encourage leurs pratiques. Or, on sait que les pays de l’Est ont tendance à nous tirer vers le bas, qu’ils veulent absolument allonger les temps de conduite, que ça ne les dérange pas que leurs conducteurs partent de chez eux pendant un mois, un mois et demi, à manger et dormir dans le camion, avec des conditions de vie exécrables, ce n’est pas acceptable ».

 

Les chauffeurs routiers français craignent donc, aujourd’hui, que ce soit à eux que l’on demande de rabaisser leur niveau d’exigence quant à leurs conditions de travail et leurs salaires, plutôt que l’inverse. Patrice est ainsi chauffeur routier livreur entre le nord de l’Italie et la région Provence Alpes Côte d’Azur, et il estime « qu’il n’est pas normal que tous ces chauffeurs étrangers que je vois, des travailleurs étrangers détachés, n’aient pas le même salaire que moi alors qu’ils font exactement le même métier que moi. C’est un métier contraignant, il n’est pas logique qu’il y ait de telles différences », estime-t-il. « On les paie moins cher, 800 euros par mois, je trouve cela révoltant que des entreprises aient recours à des travailleurs détachés pour ce salaire, qui méprise la main d’œuvre car il ne permet même pas de se loger et de manger en France. On a des diplômes, ces travailleurs détachés arrivent avec un permis à sec et forcément pas les mêmes compétences ni la même qualité de travail, et c’est ça qu’on va encourager, cette perte de savoir-faire et d’exigence », renchérit un collègue. « Ce qui est dommage, c’est qu’on a réussi à obtenir de la part du ministère des garanties de salaires pour les routiers français, et la sanctuarisation de leurs primes, manque de bol, au plus on obtient pour les routiers français, au plus on fait appel à de la main d’œuvre étrangère, il serait temps qu’à un moment nos gouvernants se posent les bonnes questions », regrette un troisième, parti participer aux opérations escargot près de Mandelieu la Napoule, en solidarité avec ses collègues d’autres entreprises, même si lui n’est pas directement touché par le dumping social.

 

es trois-là s’estiment en effet plutôt chanceux : depuis des années, ils travaillent pour le même patron, et le père de ce dernier avant eux. Et depuis toujours, leur direction refuse d’avoir recours à des travailleurs détachés : « Je suis régulièrement sollicité pour prendre des travailleurs détachés, des chauffeurs routiers polonais ou roumains payés deux à trois fois moins cher que mes salariés, mais je refuse, je n’en ai pas besoin, parce que ça s’appelle du dumping social et je suis contre. On ne fait pas du profit sur le dos de ses salariés via ce genre de concurrence déloyale. J’ai 48 gars, ça me suffit, je préfère les fidéliser en les payant comme il faut et être garant de la qualité de leur travail. Et c’est une question de morale et de conscience professionnelles aussi, recourir aux travailleurs détachés dans les conditions auxquelles on les traite, ce n’est pas une compétitivité honnête, cela me dérange ». Même s’il réalise un joli chiffre d’affaires, 6 millions d’euros annuels, ce patron de PME du transport attend, comme ses salariés, une nouvelle réforme, plus équilibrée, du travail détaché.

 

 




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