On a testé pour vous… Rungis, le plus grand marché de produits frais du monde

Temps de lecture : 7 minutes

legumeVu du ciel, c’est comme une ville… une ville, d’une superficie supérieure à la Principauté de Monaco. Une ville, qui serait faite d’entrepôts, et dont les habitants rouleraient tous en camion. Rungis, c’est un monde à part. Un monde unique, dans le paysage de la logistique française. Chaque année, 1 million 600 000 tonnes de produits alimentaires en sortent (fruits, légumes, viande, fromages, poisson), et 34 millions de fleurs coupées. Des produits qui viennent de la petite ville d’Ile-de-France, aussi bien que de l’autre bout de la planète. Acheteurs et vendeurs se croisent par milliers chaque matin, ils repartiront ensuite comme ils sont venus : avec leur poids lourd, ou pour certains, en avion. Bien d’autres marchés d’intérêt national ont essayé de l’égaler, nul n’y est arrivé. Les chefs du monde entier, les plus grands restaurants, les meilleurs commerces de bouche ou de produits frais s’y fournissent. A quelques semaines de Noël, Rungis commence à bruisser de rumeurs différentes. Comme une espèce d’effervescence, une électricité dans l’air, une tension palpable. L’activité commence à prendre un rythme encore plus soutenu que d’habitude, et cela ira crescendo, jusqu’au petit matin 31 décembre… et là, enfin, l’accalmie – toute relative – reviendra.

 

standsCette atmosphère extraordinaire et à nulle autre pareille, nous ne pouvions pas ne pas vous emmener la palper avec nous, au détour des coulisses de Rungis. C’est à la fois magique et scabreux, féerique et un peu « gore » ! Dans ce que l’on appelle le « ventre de Paris », des hommes et des femmes comme des chirurgiens, entièrement vêtus de blanc, gantés, masqués parfois, bottés pour parcourir les sept lieues de cet hypermarché du frais qui semble n’avoir pas de limites, tant cela fait long à parcourir, d’un mur à l’autre. C’est le plus grand marché de produits frais du monde ! Rungis, c’est l’un des plus fascinants ballets de la logistique moderne. Partout, parcourant des kilomètres et des kilomètres, des chariots soulèvent, tractent, déposent, tournoient à toute allure, reliant un stand à un autre, retournant décharger un poids lourd, filant récupérer une palette ici, des caisses ailleurs, une carcasse autre part. Les conducteurs maîtrisent les parcours et les gestes sur le bout des doigts, souples et précis comme des ballerines, millimétrés comme des concertistes avec leur partition. Chaque minute, on croit voir arriver l’accident, le carambolage, la dégringolade de bourriches d’huîtres… mais non. Ils se frôlent sans avoir à s’éviter, sûrs de leur coup, même pas peur ! « Quand vous arrivez à Rungis, au cœur de la nuit, vous avez une étrange sensation de calme… et soudain, vous rentrez là dedans, et ça grouille ! C’est ça que j’aime bien, entre autres, ici. Le contraste entre l’extérieur, paisible, tout le monde dort… et l’intense activité à l’intérieur. », explique Serge, restaurateur, qui vient ici faire son marché tous les matins. « Vous arrivez par l’autoroute, puis le périph, y a personne… et d’un coup, bing ! C’est le coup de feu pire que si on était en plein jour ! »

 

poissonAu Pavillon de la Marée, le premier ouvert, des gens courent dans tous les sens. On gueule, on s’alpague, franco. Ici, on ne tourne pas autour du pot. Dans les ateliers de filetage, on découpe carrément les têtes et les ventres des plus gros poissons à la tronçonneuse. Les professionnels ont le coup de poignet sûr, en quelques secondes, le thon comme l’espadon sont déshabillés de leur peau, et découpés proprement. Rungis, c’est cela aussi : une ambiance presque religieuse de respect du produit, tout au long de la chaîne logistique, depuis le bateau de pêche jusqu’à l’établi de découpe, en passant, évidemment, par le transport. « Voilà, ça c’est joli ! » s’exclame un acheteur de lieu noir, en caressant presque amoureusement les écailles de quatre beaux spécimens dans leur caisse de polystyrène. « Tous les professionnels de l’alimentaire ont besoin de toucher le produit, tu vas à la viande c’est pareil, ils touchent leurs produits, les fruits et légumes ils les goûtent… On a tous besoin de ça, de palper, sentir, soupeser… . Le négoce est âpre. Les grossistes palpent, soupèsent et prennent connaissance de la pêche, passent commande et prévoient leurs livraisons. « On a de plus en plus de mal à vendre, les produits sont de plus en plus chers, donc on est de plus en plus exigeants sur la qualité. Je n’achète pas à un fournisseur qui n’a pas vu le poisson, de ses yeux vu », explique Laurent. « Les gens mangent moins mais ils veulent le top du top aujourd’hui. » « Je veux du homard, mais faut faire un effort, si tu me fais 21 au lieu de 22 je te prends deux caisses », marchande l’un de ses collègues juste à côté.

 

rungisLa chaîne logistique doit être rigoureuse, car ici les contrôles des services vétérinaires sont fréquents, tous les matins, dans tous les pavillons. Ils arpentent sans se lasser les 232 hectares du marché de Rungis. « On regarde la rigidité du poisson frais, par exemple, on fait une prise de température dans la nuit, et on estime la durée pendant laquelle il peut encore rester en vente. On vérifie si la chaîne du froid a été respectée, en vérifiant l’affaissement des chairs ou pas, et la transparence du mucus. Enfin, on va pister les fraudes, par exemple des produits plus assez frais, lavés et reglacés, pour essayer de leur redonner l’apparence de la fraîcheur», raconte l’inspecteur croisé au détour du pavillon de la marée. « On vérifie aussi les chambres froides, leur propreté, qui doit être absolue. Si je détecte même un peu de poussière, je classe non-conforme ! « . On sent, d’ailleurs, au ton de la voix ou à une certaine impatience, quels sont les vendeurs qui doivent écouler leurs stocks dans la nuit, sinon tout devra être jeté. Quelques uns, carrément aux abois, ne lâchent pas la grappe au malheureux acheteur qui passe par là… Mais cela peut être une aubaine : car ces vendeurs cassent les prix, aussi. Ils préfèrent vendre à perte… que de ne pas vendre du tout. Et pour le restaurateur qui a un banquet à servir le lendemain, cela peut-être très rentable. « On est dans de l’ultra frais, la vie d’un produit c’est deux ou trois jours, donc évidemment, il faut vendre vite ! », explique un marchand de gros, qui a des moules à vendre vite. Mais si le camion n’est pas impeccable, le chargement ne pourra pas être fait, et la vente sera annulée : les inspecteurs sont intraitables, sur ce point comme sur le reste. En cas de doute sur la fraîcheur d’un produit, même chose : il ne sortira pas de Rungis, et sera saisi par les services vétérinaires.

 

logistiqueLe pavillon d’à côté, c’est la volaille. Produits différents, même bouillonnement d’activité. Il semble évident que tous ceux qui travaillent ici sont des passionnés… qui n’ont pas les deux pieds dans le même sabot, ni les deux yeux dans leur poche, pas plus que la langue d’ailleurs ! Ils n’ont pas, non plus, besoin de beaucoup dormir : ici, on fait nuit blanche tous les jours. Lever minuit, pour la plupart. Coucher… quand on peut. Ce qui les fait tenir debout, c’est l’adrénaline : l’enjeu, chaque jour, pour eux, c’est d’acheter ou de vendre le plus frais possible, puis de réexpédier la marchandise à toute allure également, dans les meilleures conditions, pour conserver au maximum la qualité des produits. « Dès les premières minutes après l’ouverture, surtout comme en ce moment, en pré période de fêtes, il faut faire très très vite », explique un restaurateur. « Sinon, en même pas une heure de temps, c’est le bordel ! Il y en a partout, du gibier ici, des dindes ailleurs, ils sont nettement moins organisés qu’au poisson, c’est sûr ! », rigole-t-il. Au Saint-Hubert, le café bar, à l’heure de la pause, on perçoit la fatigue dans les yeux des habitués de Rungis. On se frotte les mains, dans le froid depuis des heures, on se frotte aussi les paupières, on fume, on boit un petit noir bien serré, et puis un autre, et un troisième… Tous en blouse blanche, mais chacun sa petite coquetterie : un chapeau pour celui-là, une cravate pour celui-ci, un col roulé torsadé pour un autre encore. Tout le monde se connaît et s’appelle par son prénom, même s’ils sont des centaines, des milliers… La plupart des patrons ont commencé manutentionnaires, c’est la tchatche, qui a fait le reste !

 

viandeL’un des pavillons les plus impressionnants, c’est incontestablement celui de la viande. Des carcasses suspendues, partout, par milliers. Des blouses blanches maculées de sang. Des hommes, costauds pourtant, deux fois plus petits que les morceaux de barbaque qu’ils charrient. D’autres, qui découpent à bras le corps, à grands mouvements de hache, de couteaux électriques et de tronçonneuse. Au plafond, des poutrelles métalliques immenses, partout, auxquelles sont suspendus les crochets pour la viande. C’est un peu l’antre de Barbe Bleue… Et puis, à l’opposée, il y a le paradis du fruit… et des légumes, un festival de couleurs, de pyramides, mieux qu’à Rio ! Ici, chaque année, près de 600 000 tonnes de fruits et 400 000 tonnes de légumes sont échangées. Grossistes, producteurs, sociétés d’import-exports… se disputent non pas le bout de gras, mais le prix du kilo, qui peut varier de plus de 25% en une année, selon les récoltes, le climat, la conjoncture et bien d’autres paramètres, comme l’année où des suspicions de bactérie echerechia coli avaient plombé les ventes de concombres. Rungis, c’est à la fois la stabilité et l’incertitude, l’abondance et le calcul au centime près, souvent le meilleur et parfois – rarement – le pire. C’est l’un des fleurons logistiques de France et du monde. De ces fleurons que le monde, d’ailleurs, nous envie.

 
 




2 commentaires

Denis le 18 nov. 2014

bravo pour l’article

Fabienne Faabb via Facebook le 16 nov. 2014

ça m intéresse de travailler à Rungis !

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