Toussaint : 20 millions de chrysanthèmes vendus… la fleur, une sacrée logistique !

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HollandeIl y a la fête des mères… la Saint Valentin… et il y a la Toussaint : trois dates, qui représentent autant de périodes charnières pour le marché de la fleur, du début à la fin de la filière. La Toussaint : le jour des morts, ce 1er novembre où chaque année, nous allons fleurir la tombe de nos chers disparus… L’une des dates, donc, où l’on pense évidemment à nos défunts, sans imaginer un seul instant à quel point, pour que chaque sépulture ait son hommage fleuri, il faut que la grande et délicate machine de la logistique soit bien huilée. Car la fleur ou la plante sont tout, sauf des produits comme les autres. Pas question de les trimballer sans ménagement : ces êtres vivants exigent une délicatesse exemplaire, depuis la serre jusqu’au marbre gris des pierres tombales. Depuis leur conditionnement jusqu’à la livraison au distributeur.

 

achatsPour mieux se rendre compte du phénomène, direction la banlieue d’Amsterdam, à Aalsmeer, précisément, près de l’aéroport de Schiphol. Là, le plus grand marché aux fleurs du monde représente carrément une ville dans la ville. Chaque jour, il s’y vend 21 millions de bourgeons, de tiges et de corolles de toutes variétés. En ce moment, Toussaint oblige, le chrysanthème est la vedette. « Les prix varient soit en fonction de la météo, soit en fonction de dates importantes ! Là, c’est parce que la Toussaint arrive, et les Français ont besoin de fleurs ! », explique l’un des fleuristes, sur place. Plus loin, dans une salle, 300 courtiers  les yeux rivés sur leur ordinateur. C’est ici que se vend et que s’achète 80% de la production mondiale ! C’est ce que l’on appelle « la vente au cadran » : une sorte de pendule leur indique seconde après seconde la valeur de telle ou telle fleur, symbolisée par un point rouge. Lorsqu’elle atteint la valeur la plus basse possible, ils se portent acquéreurs, d’un simple clic.

 

marchesMais ces courtiers ne sont que les exécutants des fleuristes, qui, eux, décident de la marchandise qu’ils vont acheter ici pour la revendre ensuite, en France, par exemple, pour la Toussaint. Avant d’acheter ses chrysanthèmes, le directeur d’une importante chaîne de magasins en France, avec plus de 140 points de vente, nous explique comment il va toucher, sentir, et observer la marchandise avant de la choisir. « On regarde la fleur, son état général, sa tenue, la rigidité de sa tige, sa fraicheur… cela nous donne un prix indicatif, et on va ensuite revoir au cadran à quel prix ça passe pour être bien en achats. » En contact permanent avec son courtier, il ne se contente pas de regarder les fleurs exposées sur les 150 hectares du marché d’Aalsmeer. Il part également vérifier la qualité des produits directement chez les producteurs qui le fourniront.

 

serreSous les serres de ces derniers, des dizaines de milliers de pots, pour chaque variété de chrysanthème. Coupées, assemblées en bouquets et expédiées, les fleurs sont achetées le matin même, emballées dans l’après midi, chargées à bord des camions, et envoyées vers la France. Au petit matin le lendemain, elles sont déjà en boutiques. Le moindre retard sur les routes, et pour les vendeurs de ce produit très périssable, les conséquences économiques peuvent être dramatiques. Des pots de chrysanthèmes qui arrivent à midi un premier novembre, par exemple, c’est la certitude d’un chiffre d’affaires catastrophique, par rapport à une année normale. 48 heures avant la Toussaint et jusqu’à 48 heures après,  le marché d’Aalsmeer près d’Amsterdam va donc atteindre un pic d’activité. Ici chaque année, le chiffre d’affaires se monte à 4 milliards d’euros, et il progresse de 3% en moyenne, chaque année.

 

chrysanthemesEn France aussi, il existe des marchés de la fleur, et comme ailleurs, c’est l’effervescence pour la Toussaint : au Marché d’Intérêt National de Marseille (MIN) par exemple, chez les grossistes en fleurs, comme chaque année à la même période, l’activité est soutenue. Des chrysanthèmes arrivés de Lyon, vendus à partir de 4 euros, vont repartir par milliers dans les magasins. Car malgré la crise, le produit fait toujours vendre. Pour une fleur qui célèbre les morts, le chrysanthème a la vie longue. La plus grosse vente de l’année pour cette horticultrice, qui redouble d’efforts : « par semaine, on a une cinquantaine, une soixantaine de chariots, qui représentent dix mille pomponettes, c’est énorme ! Il faut charger décharger sans cesse, préparer les commandes, que ça pulse ! ». Ici, on cultive le chrysanthème depuis trois générations. Dans les serres, 47 000 pots sont prêts à être livré. « Allez les filles on se dépêche, le camion, il arrive ! ». Avec la Toussaint, la patronne réalise jusqu’à 15% de son chiffre d’affaires annuel. Et ces dernières années, de nouvelles variétés sont venues donner un nouveau souffle au marché des fleurs de cimetière. « Aujourd’hui si on veut avoir une clientèle de jeunes, il faut multiplier les couleurs pour que ce soit le plus attractif possible ! ».

 

toussaintFleur d’automne par excellence, le chrysanthème craint le gel, n’apprécie que les ciels maussades et la pluie. L’année dernière, la météo a joué des tours. « Ils n’étaient pas en avance, parce qu’on avait eu beaucoup de soleil, et contrairement à ce qu’on croit, le chrysanthème fleurit par temps couvert… Cette année, la production est particulièrement généreuse : les chrysanthèmes ont très bien poussé en juillet août car le temps était clément, il ne faisait pas trop chaud. Les chrysanthèmes sont magnifiques ». Les boutures de 4 centimètres ont été plantées en juin. Tout l’été, il a fallu pincer et fertiliser pour arriver à ces résultats. Et en début de semaine dernière, quelques jours avant le 1er novembre, les ventes aux professionnels ont débuté : « En fait, après ce qu’entre nous on appelle les ‘vendanges’,  on passe avec des mesures pour calibrer, puis on charge sur la remorque, et ensuite ça part au conditionnement. » Cultivé une fois dans l’année, le chrysanthème est une fleur de saison, une fleur de traditions. La semaine de la Toussaint, une exploitation de 50 000 plants vendra 2500 pots par jour. Soit un tiers de son chiffre d’affaires annuel. Chaque année en France, plus de 20 millions de pots de chrysanthèmes sont vendus pour la Toussaint.

 

logistiquePour toute la filière, la période est donc capitale. Et c’est là que la logistique intervient. Car sans bonne logistique, pas de fleurs dans les rayons. Impossible. Marchandise périssable, encore plus fragile que des fruits ou des légumes, souffrant du chaud comme du froid, la fleur et la plante sont peut-être les produits dont la manutention est la plus périlleuse, de tous les secteurs de la logistique, excepté peut-être les matières dangereuses ! Du début à la fin des circuits d’approvisionnement et de distribution, la logistique doit être adaptée. L’emballage, le stockage, le transport exigent des plateformes logistiques spécifiques, dites de « cross-docking », sur lesquelles les stocks sont réduits au minimum et les flux accélérés au maximum.

 

plantationsAinsi, les progrès de la logistique ont révolutionné le marché de la fleur coupée, encore plus périssable que la fleur en terre. Désormais, une rose par exemple, produit le plus vendu chez les fleuristes, peut tenir jusque dix jours d’affilée chez le client, grâce à un circuit extrêmement court et fluide, millimétré même, dès la première seconde après la coupe. Moins de temps dans les opérations de logistique = plus de temps chez le client final. Ainsi, aujourd’hui, de plus en plus de grandes chaînes françaises organisent leurs échanges avec les Pays-Bas par avion… Ou bien alors, elles ont préféré posséder leurs propres plateformes d’achats et de logistique en Hollande et en France, afin d’éviter les intermédiaires.  « Nous gagnons deux à trois jours quand nous livrons nous-mêmes le client depuis nos plateformes logistiques », explique ainsi le Directeur Logistique d’un grand groupe de vente de fleurs sur internet.

 

transportAutre avantage : une totale maîtrise du coût du transport malgré la fluctuation des taxes et du tarifs des carburants, et une tout aussi totale maîtrise du coût de la main d’œuvre. La traçabilité est aussi meilleure, un gage de qualité du produit. Des livraisons sont effectuées chaque jour pour réapprovisionner les stocks, ce qui permet de ne jamais être en rupture, mais également de jeter le moins possible : moins de 5% du volume. Enfin, le transport est confié aux quelques grands groupes français qui se sont spécialisés dans ce type de marchandise très délicate (taux d’humidité, température, vibrations, etc…), comme Florajet, les transports Mari ou Dispovit, pour en citer quelques uns. Là encore, il faut « jongler » ! Car on ne transporte pas de la même façon une plante tropicale, qui exige une température à 18 degrés minimum, et un chrysanthème, qui se conserve à moins de 10 degrés ! Et chaque jour, ce sont environ 1200 références de fleurs qui peuvent transiter par le même circuit ! Il faut donc disposer de chambres froides à plusieurs compartiments, voire disposer de matériel isotherme spécial… On le savait déjà, la fleur est délicate… ce que l’on sait moins, c’est que sa logistique l’est aussi ! Et de ce point de vue là, la Toussaint est, chaque année, une véritable prouesse.

 
 




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