Logistique : le Black Friday, nouveau défi pour les entreprises françaises

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C’est une grande opération commerciale venue des Etats-Unis, et cela s’appelle « black Friday », comme « vendredi noir » : non pas pour désigner un vendredi où la malchance frappe particulièrement (!), mais pour indiquer un jour de soldes monstres, entre 50 et 80% de rabais sur des dizaines de milliers de marchandises. Outre-Atlantique, c’est le jour de l’année où les Américains dépensent le plus d’argent… Et, depuis deux ans, l’opération a débarqué en France, avec succès : le nombre de clics sur internet directement liés à une requête « black Friday » dans les moteurs de recherche, a triplé entre 2015 et 2017. Chez nous, si cela commence bien un vendredi, en l’occurrence ce 24 novembre 2017, le Black Friday dure en réalité 4 jours, et concerne la quasi-totalité des enseignes et des produits dans l’Hexagone. Autant dire que cela constitue un défi très nouveau, et intense, pour les entreprises de transport et de logistique… Un bon moyen de se roder, aussi, avant le rush de Noël puis les soldes de janvier.

 

Ainsi, ce vendredi 24 novembre 2017, la plupart des grandes plateformes logistiques françaises ont réalisé l’une de leurs journées les plus actives de l’année : à titre de comparaison, l’an dernier, Amazon avait par exemple réalisé 970 ventes par minute, et le meilleur chiffre d’affaire de son histoire en France, le jour du lancement du Black Friday édition 2016. Cette année, le géant a du faire face à des grèves dans ses entrepôts, et les chiffres ne sont pas encore connus. Mais globalement et partout en France, la journée a été encore plus intense que l’année dernière, y compris pour les petits commerçants… car la plupart s’y sont mis, eux aussi. Côté logistique, dans les entrepôts, les rayons, les chaînes de préparations de commandes, sur les routes, dans les camions, c’est la ruche depuis 3 jours… et ça n’est pas fini : les promos doivent perdurer jusque début décembre pour de nombreuses marques. En une grosse semaine, les Français devraient dépenser au global, selon les études de projection, environ 750 millions d’euros ! Et en moyenne, quelques 270 euros par personne. Une déferlante de commandes qui signifie que derrière ces millions de produits achetés, se cachent des millions de paquets à préparer et à livrer… Nécessité fait loi : une chaîne logistique bien huilée et sans failles est le préalable absolu pour les entreprises qui veulent surfer sur le succès commercial de l’opération.

 

« Il faut très bien anticiper le black Friday en amont », explique le directeur de Costco, enseigne californienne fraîchement implantée dans l’Essonne. Ce magasin unique en France a ouvert il y a quelques mois… Objectif : importer en France  un nouveau mode de consommation américain, qui risque bien de révolutionner encore davantage le monde du transport et de la logistique dans les années qui viennent. « Notre modèle, c’est celui d’un entrepôt logistique justement, plutôt que celui d’un supermarché. Pour accentuer l’impression de faire de bonnes affaires chez le client, nous vendons tout sur palette. Dans nos rayons, dix fois moins de produits que dans un hyper classique : notre choix est volontairement limité à 4000 références maximum, et pour bénéficier de prix cassés, le client doit en acheter de grandes quantités. C’est un système qui a fait ses preuves puisque nous sommes devenus numéros deux de la distribution mondiale, devant Carrefour et juste derrière Walmart ».

 

Produits alimentaires, vêtements, bijoux, produits hight-tech, électroménager, le black Friday s’applique à presque toutes les catégories de marchandises. Le Black Friday suscite un engouement inédit en France, des milliers de consommateurs ont carrément posé une journée de congé pour faire leur shopping tranquillement. Les fans du Black Friday sont même réunis en communautés sur internet. Ce rendez-vous est désormais l’un des défis incontournables de la logistique française, chaque année, fin novembre. Pour atteindre leurs objectifs, les directeurs logistiques de chaque grande enseigne se sont donc préparés très en amont. Ils ont réuni leurs équipes, lors de rendez-vous de briefing réguliers, plusieurs fois par semaine, dès deux mois avant le jour J.

 

« On s’organise comme pour un premier jour de soldes, mais puissance dix ! », raconte le directeur logistique d’un des plus grands entrepôts français de logistique, à Bordeaux, affilié à un géant français du e-commerce. « Les directeurs des achats ont fait le point sur les stocks pour qu’on soit le mieux fournis possible. On a été très surpris par le succès des premiers Black Friday en 2015 et 2016, on n’avait jamais senti un tel feeling chez les consommateurs, une telle envie de flamber, et en même temps, on ressentait que ce n’était que les prémices d’un mouvement qui pouvait prendre une ampleur phénoménale. Du coup cette année, on a mis le paquet comme jamais ». Tendance confirmée pour 2017 : en quelques secondes, au moment où les opérations promotionnelles ont été dévoilées par Amazon, la veille du jour J, 77 000 personnes pré-remplissaient déjà leurs paniers sur internet pour pouvoir acheter en un clic le lendemain au réveil.

 

Ce vendredi 24 novembre, 3 heures avant l’ouverture des ventes prévue à 9H30, dans tous les entrepôts logistiques, c’était déjà la ruche, alors que dehors il faisait encore nuit noire. La difficulté pour toutes les enseignes : proposer un maximum de choix, et donc adapter la logistique à des produits multiples, nécessitant des conditionnements, des manipulations, des opérations de préparation différentes : du frais (fleurs, sapins, alimentaire…), mais aussi des plats tout cuisinés et prêts à manger. Et encore, des produits dernier cri, fragiles et très chers même en promotion, à entourer d’un maximum de précautions et de mesures de sécurité. Et puis, du tout venant, livres, disques, vêtements, électroménager, etc… Obligatoire aussi : un inventaire complet et rigoureux, avec vérification de tous les prix, d’origine et bradés. Bref, une organisation…. titanesque, et un travail immense pour tous les logisticiens de la chaîne.

 

« La condition, pour pouvoir proposer des prix très bas, c’est qu’on doit avoir recours à des fournisseurs souvent peu chers, donc lointains. Des fournisseurs coréens, par exemple, pour l’électronique ; Et on est soumis, à ces prix là, à leurs conditions de livraison. On a reçu les palettes de certains produits phare pour la vente vingt minutes avant l’ouverture des portes, le jour du Black Friday ! », explique le directeur logistique d’une grande enseigne de distribution du nord de la France. Résultat : des équipes de préparateurs sur le pied de guerre, littéralement.

 

Du côté des responsables logistiques, chacun a imaginé de nouvelles solutions, pour booster les capacités logistiques ce jour là, précisément : « Il a fallu faire le plein de chariots élévateurs, de transpalettes, de matériel de préparation et de façonnage, mais aussi de filmeuses et d’imprimantes pour les étiquettes ! Nous voulions être sûrs de pouvoir aller chercher les produits en rayons le plus vite possible et préparer les commandes avec mise sous plis ou en carton aussi vite qu’elles nous parvenaient. C’est la première fois qu’on fait ça, on a été louer des machines pour renforcer la flotte et être sûrs de pouvoir tenir la cadence ! », raconte le responsable d’un immense entrepôt spécialisé dans la vente de chaussures en ligne, en Picardie. Et il ne regrette pas : « on a vendu pour 173 000 euros…. En une heure, dès l’ouverture ! ». Dans un hypermarché de Creil, dans l’Oise, on a ouvert dix nouvelles caisses pour l’occasion.

 

Au bout de la supply chain, les transporteurs, eux aussi sur les dents pendant quatre jours, pour livrer les achats réalisés sur internet par des millions de Français en quelques heures. « Je n’ai jamais vu ça, je ne m’en sors pas », confie Hoang, livreur pour chronopost. « On est sous l’eau, et pourtant on savait que ce serait dur, qu’il y aurait un coup de feu énorme, mais je n’imaginais pas à ce point là. J’ai vécu des Black Friday aux Etats-Unis, je peux vous dire que c’est pareil. Et pourtant, en France, contrairement à là bas, on n’a pas le droit de vendre à perte. Je pensais que ça atténuerait le succès de l’opération, et bien pas du tout ! Des milliers et des milliers de cartons à livrer, et les gens sont pressés de recevoir leurs achats. Pas de doute : les Français sont définitivement convertis au Black Friday ».

 

 




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