Plan de restructuration Carrefour : quelles conséquences pour la logistique ?

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L’enseigne Carrefour s’est illustré, à la Une de l’actualité cette fin janvier 2018, pour une annonce qui provoque la colère de ses salariés et suscite une « vigilance particulière » du ministère de l’économie pendant les mois à venir : son nouveau PDG depuis le printemps dernier, Alexandre Bompard (ex patron de la Fnac), a décidé dans le plus grand secret d’une nouvelle stratégie de développement et d’un vaste plan de restructuration. Deux étapes donc : d’abord, « dégraisser le mammouth », c’est-à-dire  se débarrasser des quelques 270 magasins de l’ex chaîne Dia, économiser environ 2 milliards d’euros en 3 ans, et encourager les départs volontaires à hauteur d’un peu moins de 2500 personnes. Sur le site de la plateforme logistique du groupe à Rennes, l’inquiétude le dispute à la colère : on redoute que le secteur ne soit le premier impacté par cette phase 1 d’économies. Sans être trop précis, Alexandre Bompard a clairement expliqué vouloir « s’adapter aux nouveaux modes de production et de consommation ». Alors, comment l’interpréter et quelles conclusions en tirer, pour ce qui concerne le secteur de la logistique ?

 

Comme rien n’est jamais ni totalement noir, ni totalement blanc, il ne sert à rien de prêcher l’angélisme, pas plus que d’être trop alarmiste : comme toute réorganisation de fond, structurelle, approfondie, celle de Carrefour ne se fera pas sans mal. Les 10 500 salariés du siège de Carrefour sont répartis sur 12 sites dans l’hexagone, environ un quart d’entre eux sont concernés par le plan de départs volontaires, soit 2400 personnes. L’antenne principale du siège social, installée à Boulogne-Billancourt au sud de Paris, sera fermée, et déménagée dans l’Essonne, à Massy, dans l’année. Le grand projet d’une construction ex nihilo, flambant neuve, est abandonné, trop cher, pour privilégier le bâti existant : « l’entreprise est aujourd’hui trop compartimenté, ce qui engendre inévitablement des lourdeurs. C’est à dessus que nous devons travailler », explique le PDG. Cette partie du plan vise donc essentiellement les cadres des Ressources Humaines, de direction, l’administratif etc… Il ne s’adresse pas à la partie logistique de l’enseigne.

 

En revanche, le secteur logistique est directement en ligne de mire de l’aspect « économies d’échelles » du projet, avec 2 milliards d’euros à trouver sur la partie structures. En clair, dans les 3 ans qui viennent, le personnel logistique des 273 magasins Dia – vendus à hauteur de quelques 500 millions d’euros en tout – va devoir trouver une reconversion : un PSE, « plan de sauvegarde de l’emploi », est prévu : 1050 salariés, soit 50% des effectifs, seront reclassés au sein du groupe. « Au total, 7 000 ou 8 000 personnes travaillent dans les entrepôts », estime la CGT, qui redoute que l’écrémage ne soit finalement plus large que les effectifs des ex supérettes Dia, au niveau du secteur logistique.

 

La logistique devrait aussi être impactée dans la phase 2 du plan de restructuration et de développement de Carrefour : priorité sera donnée, pour les investissements, à la stratégie numérique, c’est-à-dire sur internet, les tablettes et les Smartphones. Ce qui signifie que dans un premier temps, les budgets iront davantage à la création et à l’amélioration des outils immatériels (applications, sites, communication, réseaux sociaux, interactivité avec les clients…) qu’à l’immobilier logistique (entrepôts), à la supply chain (machines, personnel) et aux transports. . « Actuellement, nous proposons une expérience digitale trop hétérogène et disparate, dont nous ne pouvons pas continuer de nous contenter : 8 sites de vente en ligne non reliés entre eux et une quinzaine d’applications, nos clients sont perdus et c’est logique », explique Alexandre Bompard.

 

En revanche, à moyen terme, cette réorientation des investissements va au contraire booster tous les rouages de la logistique et des transports : choisir l’expansion numérique, c’est favoriser les commandes à distance, en un clic, du client à son domicile. Derrière l’écran d’ordinateur ou de portable, ce type d’achat a un potentiel de croissance explosif : les clients en ligne adoptent plus vite des réflexes d’achat numérique, habitudes rapidement addictives grâce à la facilité du processus : choix en ligne, paiement en ligne, livraison à domicile dans des délais désormais imbattables… En coulisses, il faudra bien doper les capacités de stockage, de déstockage, de préparation de commandes et de livraison, donc améliorer et moderniser la supply chain pour répondre à cette demande spécifique. Carrefour table sur plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires directement lié au e-commerce (alimentaire) d’ici 2022, avec un objectif de conquête d’au moins 20% du marché français dans les 4 années qui viennent. On sait à quel point la vente en ligne est propice à la bonne santé des secteurs du transport et de la logistique.

 

Autre projet du groupe : ouvrir plus de 2 000 supérettes de proximité d’ici 2023, dans toutes les grandes métropoles européennes. Développer le maillage et le réseau à l’échelle de l’UE mais aussi de la planète, étoffer l’offre existante en Belgique et ailleurs, ouvrir des grandes surfaces au logo de l’enseigne au Brésil (Carrefour a racheté la marque Atacadao là bas, il y a dix ans), développer la vente en ligne en Chine…. cela signifie, là aussi, booster forcément par ricochet le fret et donc, le transport et la logistique à l’international. Carrefour veut aussi réduire le nombre de ses références, mais surtout les élargir au niveau du bio : ce qui veut dire créer de nouveaux circuits de marchandises, entre les producteurs et le distributeur, donc là encore, réinjecter de l’argent dans les secteurs du transport de marchandises et de la gestion des stocks… donc créer de la croissance : le plan Bompard prévoit de multiplier par 4 le chiffre d’affaires lié au bio avec une généralisation des rayons spécifiques à l’ensemble des magasins de la chaîne… Qui dit nouveaux rayons et nouveaux produits dit nouvelle gestion de stocks et nouvelle organisation pour les acheminer du producteur au consommateur, donc regain d’activité et embauche pour les métiers de la logistique et du convoyage de marchandises.

 

L’objectif du nouveau PDG c’est de rattraper, à terme, ses concurrents Leclerc et Amazon, d’où cette mise massive d’argent sur le digital : Alexandre Bompard a prévu de mettre 560 millions d’euros par an sur la table pour améliorer les performances de l’enseigne au triangle  sur internet, pour près de 3 milliards d’euros sur 4 ans…. Ce qui revient à multiplier par 6 le budget consacré au numérique, par rapport à aujourd’hui. « Ce que nous voulons réussir, c’est la transition vers le multi canal, et même ce qu’on pourrait appeler l’omni canal », explique-t-il. Concrètement et pour faire simple, être présent partout, sur tous les supports, pour toucher tous les publics. Ce qui sera sans équivalent sur le marché, puisqu’Amazon est faible sur les points de vente physique là où Carrefour est fort… il faut donc que Carrefour soit fort là où Amazon est fort, sur internet… pendant qu’Amazon lance ses propres supérettes physiques. Avec de chaque côté cet objectif de l’omnicanal pour proposer aux acheteurs une expérience d’achat inégalée, du jamais vu. Les satellites vont devenir une seule planète, avec une seule bannière, celle de Carrefour, et une seule interface digitale.

 

Ce qui implique de repenser la logistique, certes, mais pas pour la réduire, au contraire : pour lui permettre de suivre le rythme et de se développer harmonieusement avec le e-commerce du groupe : « Je veux améliorer les délais de livraison et la faire passer à une heure maximum après le clic de paiement en ligne, sur des créneaux de seulement une demie-heure, pour moins de 5 euros, et ce dans 10 nouvelles villes (Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lille, Nancy, Nantes, Nice, Reims, Rennes et Strasbourg, Ndlr) – c’est pour l’instant possible à Paris, Neuilly, Levallois, Malakoff, Vanves, Bagnolet, Lyon, Bordeaux, Toulouse et Montpellier -, et installer dans 26 villes la livraison à domicile sur rendez-vous, en partenariat avec la Poste », a détaillé le PDG lors de son point presse. Entre 150 et 200 Carrefour drive supplémentaires seront aussi créés en France cette année et en 2019… Et le système du click & collect devra être étendu dans ces deux années à la moitié des points de vente de l’enseigne, tous, à terme.

 

« Livraison à domicile, drive, click & collect en complémentarité sur l’ensemble de notre réseau, cela signifie la possibilité d’offrir à nos clients un service unique, surtout dans les plus grosses villes de France. Et derrière ces services, il faudra que la logistique suive : nous allons donc accroître nos investissements supply-chain, notamment pour améliorer la préparation de commande sur les plateformes ». Alexandre Bompard a confirmé que le réseau d’entrepôts serait modernisé, avec, entre autres, la technologie Blockchain qui permet une meilleure traçabilité des produits » – alors que l’enseigne faisait partie des distributeurs ayant continué à vendre des lots de lait infantile Lactalis après leur rappel. Dès 2018, 2 milliards d’euros chaque année seront injectés dans la supply chain pour accroître ses possibilités de répondre à la demande sur internet. Il y aura de l’automatisation sur les plateformes, mais aussi des besoins en main d’œuvre supplémentaire, cela semble incontournable. Ainsi, Carrefour a racheté l’ancien site de PSA à Aulnay-sous-Bois, au nord est de Paris, pour y construire sa toute première plateforme logistique entièrement dédiée au commerce en ligne, sur plus de 25 000 m². Mise en exploitation prévue au printemps prochain.

 

 




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